Intervention de M. Jeremy RIFKIN

Intervention de M. Jeremy RIFKIN, Président de la «Fondation pour les tendances économiques», à l'occasion de la conférence de Paris pour une gouvernance écologique mondiale.

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Palais de l'Élysée, Paris, le 3 février 2007

Nous avons commencé notre atelier en nous rendant compte que cette augmentation de 3 degrés celsius au cours de ce siècle nous ramènerait aux températures il y a 3 millions d'années. Donc un monde complètement différent, avec un habitat différent, des écosystèmes différents, un mode de vie différent. Notre atelier s'est posé la question de savoir comment on peut apprendre à vivre de façon durable, comment on peut changer les mentalités, comment peut-on changer les choix que l'on fait dans la vie ?
Nous avons eu un débat assez vivant sur ce point, mais profond.

Il y a ce rapport récent de la FAO qui montre que le contributeur le plus important au réchauffement de la planète ce n'est pas le transport, c'est la production de céréales pour nourrir le bétail, le bétail pour la viande de boucherie.

Donc cela n'a rien à voir avec les personnes mais il s'agit quand même de choix personnels, et cela influe sur une partie importante de la biomasse.Un tiers de la terre arable sert à faire de la nourriture pour les animaux et pas pour les hommes. Dans mon pays, Monsieur le Président, la consommation de viande cela revient à la conduite d'une voiture pendant six mois. La nourriture consommée équivaut à la conduite d'une voiture pendant six mois. Cela c'est un problème aussi de justice. Il y a le fait que des gens vivent avec une consommation de viande importante alors qu'une grande partie de la population du monde n'y a pas accès, et que l'habitat est détruit du fait des habitudes alimentaires. C'est un argument qui est rarement évoqué dans des forums comme celui-ci. Par ailleurs une autre idée a été avancée : c'est que les gouvernements ont la responsabilité de faire passer ce genre d'informations, de sensibiliser les gens, de leur faire penser à l'impact de leurs achats sur la biosphère. Le gouvernement devrait aussi agir en matière fiscale, c'est-à-dire taxer des activités qui ont un impact négatif. Là aussi le gouvernement peut faire quelque chose en taxant des comportements qui endommagent l'atmosphère et le milieu. Ensuite, on a parlé du bonheur. Comment est-ce que l'on défini le bonheur ? Eh bien, c'est l'autonomie et la mobilité. C'est pour cela qu'aux États-unis nous aimons les automobiles qui causent tellement de problèmes. L'autonomie et la mobilité c'est quelque chose qui est profondément ancré dans cette notion de bonheur mais aussi dans cette notion d'indépendance. Nous pouvons être tout à fait autosuffisants grâce à cela et vivre sur une sorte d'île. De plus les gens sont riches plus ils sont autonomes. Mais d'un autre côté, si vous regardez les très pauvres, ils sont malheureux car ils n'ont pas les choses essentielles pour vivre. Mais une fois que vous avez suffisamment de choses pour survivre toutes les enquêtes montrent que plus les gens s'enrichissent plus ils sont malheureux. Si vous basez le bonheur sur l'autonomie, on perd toute notion de relation avec les autres.

On a aussi parlé du vrai bonheur, du vrai bonheur lié à la qualité de la vie, le fait que l'on fasse partie d'une communauté qui a des liens importants. On a beaucoup parlé du lien avec le PNB depuis les années 30, PNB et richesses. Mais le PNB, en fait, donne une idée des activités positives et négatives. On a aussi parlé du fait qu'il faudrait peut-être changer les indicateurs qui sont une façon de prendre le pouls d'une société. Il faudrait peut-être mesurer une bonne économie par la qualité de la vie, l'éducation, une bonne santé, les loisirs, une communauté où il est sûr de vivre et les relations avec nos concitoyens. Ce serait peut-être d'autres indicateurs plus utiles que le PNB pour juger de la santé d'une économie. On a parlé du Nord et du Sud, du besoin qui se fait sentir d'avoir un nouveau plan Marshall. De nouveau, avec le réchauffement de la planète, l'hémisphère sud va souffrir encore plus que l'hémisphère nord au cours du siècle dans lequel nous vivons. Il faut que nous assumions nos responsabilités pour nous assurer que nos frères et nos sœurs de l'hémisphère sud ont les instruments dont ils ont besoin, ont les ressources dont ils ont besoin pour que ce ne soit pas eux qui paient la plus grosse facture de ce réchauffement planétaire. C'est une question d'égalité et de justice. On a aussi beaucoup débattu de l'impact des changements climatiques sur notre façon de penser. Maintenant, on parle vraiment d'un monde qui n'a plus de frontières, Les changements climatiques vont probablement contribuer à effacer ces frontières parce que les changements climatiques changent tous les paramètres et les frontières n'existent plus. Tout ce que nous faisons maintenant a une incidence sur le reste, partout dans le monde. Le changement climatique ne connaît pas de frontières et ne s'arrêtent pas aux frontières. D'autre part, si nous arrivons à réduire de 0,5 % la biomasse animale, on arrive à réduire la photosynthèse sur la Terre. Cela c'est vraiment beaucoup trop pour une seule espèce que nous sommes.

Comment changer nos choix, nos choix de consommation, comment pouvons-nous apprendre à vivre de façon plus compatible avec les autres espèces avec qui nous partageons la planète et qui ont le droit de vivre sur la planète aussi ? Il faut que nous apprenions à penser comme "espèce". Monsieur le Président, on parle toujours, et on pense toujours, en termes géopolitiques à l'heure actuelle. Comment commencer à penser en bio politique en quelque sorte ? Cela c'est important, et vous nous avez lancé cette idée Monsieur le Président. C'est véritablement une première dans le monde politique. Il faut s'écarter de cette géopolitique pour passer à une politique de la biosphère, dans un partage de la planète. Il faut que nous revenions aussi à la notion de "communauté". Comment pouvons-nous passer à des relations qui soient des relations planétaires, à une prise de conscience planétaire, qu'il faut faire rapidement ? Cela nous a amené à un paradoxe intéressant dans notre débat. Il y a cette grande révolution de la communication. Le monde entier est interconnecté. Immédiatement on a cette communication d'un bout à l'autre de la planète. Mais toute cette révolution informatique, cette révolution du logiciel qui rend le monde interconnecté, de façon complexe, réduit aussi la capacité d'attention de la génération concernée. On a du mal à s'arrêter, à réfléchir, a avoir une sensibilité à long terme. Et pourtant, pour parler, pour réfléchir au réchauffement de la planète, il faut penser à cela. Comment peut-on maintenir cette vigilance pendant deux ou trois générations ? Il faut avoir présent à l'esprit ces problèmes de réchauffement de la planète et se donner le temps d'y réfléchir pour pouvoir agir et procéder au type de changements qui s'imposent. On a beaucoup débattu du rôle de trois secteurs.

On ne peut pas simplement attendre que le gouvernement agisse, que le marché agisse seul ou que la société civile agisse seule. Il faut que ces trois volets inter-agissent, et il faut qu'à tous les niveaux du gouvernement on agisse à l'unisson, conscient d'une mission que nous avons en commun. Il faut que nous arrivions à produire et à consommer de façon différente, de façon à pouvoir passer aux générations qui viennent, l'héritage que nous avons, sans l'avoir dilapidé.

En 1960, le Président KENNEDY, dans son premier discours a dit de la génération du "baby boom" : "il y a ce que l'Amérique peut faire pour vous mais aussi ce que vous pouvez faire pour l'Amérique. Nous nous allons envoyer un homme sur la lune et nous allons tout faire pour qu'il y ait des jeunes qui apprennent mieux les maths et soient mieux formés". Nous avons envoyé cet homme sur la lune et toutes les formes de formation que l'on avait faites ont entraîné la révolution en matière informatique. Ce qui est intéressant, c'est que l'équivalent au XXIème siècle, ce sera de soigner la planète. C'est cela l'équivalent de l'homme sur la lune.

En parlant avec les autres participants de cette conférence nous nous rendons compte qu'il faut commencer à penser à la façon dont on va lancer une troisième révolution industrielle qui nous amène à une ère post-carbone. Et là il y a un certain nombre de choses essentielles à faire. Je crois que nous sommes tous d'accord. D'abord, il faut rapidement avoir une plus grande efficacité d'utilisation de l'énergie. Il faut l'augmenter de 20 %, et que ce soit imposé par la loi, dans tous les pays. Deuxièmement, il faut réduire ces émissions de carbone. Il faudrait une réduction de 30 % par rapport au niveau de 1990. Troisièmement, il nous faut avoir des énergies renouvelables, énergies réparties partout dans le monde. Cela, c'est vraiment le géothermique, le soleil, le vent. Cela permettrait d'avoir des énergies renouvelables à hauteur de 25 % d'ici 2020. Ensuite, il faut des choses nouvelles : le charbon, le gaz, le pétrole etc··· c'est du passé. Nous avons maintenant besoin de choses nouvelles. Nous avons besoin de mettre en place de nouvelles technologies qui nous permettent de distribuer d'autres énergies. Il nous faut par exemple l'hydrogène, qui est une source d'énergie importante. Il faut que l'on partage aussi cette énergie comme l'on partage l'information sur le Net. Il y a dans notre atelier un débat qui a tourné au débat philosophique. Comment faire des choix, des choix qui soient vraiment respectueux de la biosphère ? Comment est-ce que l'on passe à une prise de conscience de la biosphère qui nous permette de passer notre patrimoine, passer notre héritage sans l'avoir dilapidé aux générations futures ?

Je vous remercie.





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