Intervention du Prof. Andrea Riccardi.

Conférence de Paris
" Dialogue des peuples et des cultures "
Palais de l'Elysée - 13 septembre 2006

Intervention du Prof. Andrea Riccardi, Fondateur de la Communauté de Sant'Egidio

Monsieur le Président de la République,
Mesdames et Messieurs,

Je remercie pour l'invitation à prendre la parole dans cet atelier qui rassemble intelligences et expériences des deux rives. Réfléchir ensemble est indispensable en ce temps, qui est celui des simplifications qui nourrissent la logique du mépris et celle de l'ignorance qui sépare. C'est paradoxal, mais à l'âge de la globalisation les peuples se regardent trop souvent à travers des lentilles déformantes, fabriquées par des clichés considérés vrais parce que constamment répétés. Il y a un déficit de culture dans la connaissance. Cependant, partout dans le monde Méditerranéen on vit ensemble entre gens différents. Sur la rive nord par l'immigration; mais aussi sur la rive sud. Personne n'est seul avec ses semblables, ni religieusement ni ethniquement. Jamais cela ne s'est produit en Méditerranée, où les villes sont des ports et beaucoup de régions sont marquées par les stratifications ethniques des empires. Et aujourd'hui encore davantage, car le virtuel nous inscrit dans un monde mélangé.

En ces temps-ci des hommes et des femmes dépaysés - comme le dit Todorov - recherchent leur identité dans un monde devenu très grand. Ils en trouvent des nouvelles (même si avec un goût d'ancien) qui parfois visent à la pureté et se nourrissent de l'opposition à l'autre. Il existe une culture du conflit, très populaire parmi des gens dépaysés et des identités postiches, qui prétend mettre de l'ordre en divisant entre égaux et ennemis, en semant des tensions. On se renferme volontiers devant celui qui n'est pas semblable à soi. Et pour cela même, on oublie que l'homogénéité a représenté un mythe pervers, souvent convoité par les nationalismes et auteur de terribles massacres pendant deux siècles jusqu'à Auschwitz, qui en a exprimé toute la monstruosité. L'homogénéité ne correspond pas à la combinaison humaine et plurielle de la Méditerranée.

La Méditerranée est un monde complexe. On ne l'explique pas par la simplification d'un conflit islamo-chrétien, comme le voudrait la vulgate sur le choc des civilisations (d'ailleurs déjà pendant les années Trente, les Semaines Sociales des catholiques Français avaient discuté ce sujet, certes pas nouveau, et l'avaient relativisé). Rien n'est compact sur notre mer. Différentes destinées nationales; divers destins religieux. Les visages de l'islam sont variés tout comme ceux du christianisme. Il y a aussi une importante pensée laïque et humaniste, spécialement sur la rive nord mais aussi en Turquie, dont il faut tenir compte et qui pétrit nos cultures et institutions.

" Chaque civilisation meurt de sa pureté " - disait le président Senghor, grand fils d'une culture métisse franco-africaine. Le destin méditerranéen est de vivre ensemble entre gens différents. Mais la diversité n'est-elle pas motif de conflit, lorsque la pluralité devient folle? Pour la culture du conflit, le choc serait la destinée profonde de religions entières. C'est une culture qui considère la guerre comme un fait naturel, en oubliant les horreurs du siècle passé. Qui ne sent pas l'absurdité d'un conflit comme le conflit israélo-palestinien, qui dure depuis presque soixante ans et provoque des effets pervers, parce qu'on ne laisse pas saigner trop longtemps une blessure aussi grave !

Le choc est un choix politique. Ce n'est pas un destin. Une vie ensemble doit être soutenue par une culture et par un sentiment largement partagé par les gens. Aujourd'hui avec la mondialisation, pendant que parfois les États nationaux comptent moins, des gens peuvent compter: un petit groupe peut déstabiliser, promouvoir violence et terrorisme. Il faut créer une culture largement partagée, en tissant patiemment le dialogue dans la Méditerranée. Le terroriste le plus connu de notre époque a déclaré: "ils veulent le dialogue, nous voulons la mort". Dialoguer en effet c'est la vie: nos mondes méditerranéens, si différents, ou vivront ensemble ou déclineront. Est-elle destinée donc au déclin, cette zone du monde, qui se déchire à cause de la richesse de sa complexité?

Les grandes religions sont appelées les premières au dialogue. C'était la volonté du pape Jean-Paul II à Assise en 1986. Il avait eu l'intuition qu'elles pouvaient fonder la paix ou sacraliser les affrontements. La Communauté de Sant'Egidio l'a continué au fil des ans sur les bords de notre mer: l'an dernier à Lyon, la semaine passée à Assise, en Italie. Le dialogue entre les religions n'est pas seulement une activité académique, mais un sentiment qui doit impliquer et éduquer les gens, en créant un réseau entre mondes différents, pour consacrer le sens du vivre ensemble et du destin commun.

La Méditerranée est une mer plurielle de religions et de civilisations. Elle représente l'un des grands laboratoires du monde pour réaliser la civilisation du vivre ensemble. Vivre ensemble sans hégémonie d'une religion ou d'une culture sur l'autre. En se connaissant, en gérant la diversité, en créant proximité et métissages, s'exerce l'art du dialogue, fruit du réalisme et de l'espoir d'un monde pluriel. C'est ainsi que la civilisation du vivre ensemble, la civilisation des civilisations, peut être créée : lorsque chacun peut dire - avec les mots du poète brésilien Vinicio de Moraes: "mon ami, la vie c'est l'art de la rencontre". Voilà ce que doit être la vie en Méditerranée.





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