Intervention de M. René-Samuel Sirat

Conférence de Paris " Dialogue des peuples et des cultures "
Palais de l'Elysée - 13 septembre 2006.

Intervention de René-Samuel Sirat
Ancien Grand Rabbin de France
Directeur-fondateur de la chaire Unesco de Connaissance réciproque des religions du Livre et enseignement de la Paix

Monsieur le Président de la République,
Madame la Présidente,
Altesses,
Eminences,
Excellences,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs,

Je mesure pleinement l'honneur que vous m'avez fait, Monsieur le Président de la République, en me conviant à la séance d'inauguration de l'Atelier de la Conférence de Paris " Dialogue des peuples et des cultures " et je tiens à vous en exprimer ma vive gratitude.

N'avons-nous pas un seul et même Père,
N'est-ce pas un seul Dieu qui nous a créés,
Pourquoi nous trahissons-nous entre frères
En profanant l'Alliance de nos pères ?
(Malachie II, 10)

Ce cri du Prophète Malachie, dernier prophète de la tradition hébraïque voici vingt-cinq siècles, est d'une actualité brûlante. Je pourrais le reprendre à mon compte en ce lendemain de l'anniversaire des événements tragiques du 11 septembre.

En vingt-cinq ans, j'ai parcouru les continents pour dialoguer avec mes frères humains et pour essayer d'obtenir des dirigeants religieux qu'ils interviennent afin d'éradiquer la violence de la surface de la terre. Les événements de cet été montrent que le succès n'était pas au rendez-vous. Et pourtant, je reste persuadé qu'il est tout à fait possible d'éviter le choc des civilisations dont a parlé Hutington. Il nous faut à nouveau affirmer et affirmer encore que l'avenir n'est pas à la suprématie d'une idéologie ou d'une religion sur l'autre, mais à la fraternité, ce mot magnifique qui, en France, orne tous les édifices publics.

Depuis plus d'un siècle, les nations occidentales et les empires coloniaux qu'elles avaient constitués ont plus ou moins adopté la conception de Nietzsche, affirmant que Dieu était mort. Quant à ceux qui continuaient à croire en Dieu, ils devaient se restreindre à pratiquer leur culte dans les églises, les mosquées, les temples ou les synagogues, dans la discrétion requise. Or, depuis quelques décennies, nous avons assisté au retour du religieux avec toutes les retombées que nous connaissons, les unes positives : le retour à des valeurs qui permettent à une société de se développer harmonieusement, mais aussi avec des dérives dramatiques dans les trois religions monothéistes comme dans les religions d'Asie. Un peu partout, nous avons vu l'apparition de fondamentalistes, d'extrémistes, d'islamistes··· Chacun profane à qui mieux mieux l'Alliance de nos pères. Les fondamentalistes chrétiens remettent en cause certaines valeurs fondatrices des religions du Livre et certaines des bases de la démocratie occidentale. Les extrémistes juifs sont responsables de l'assassinat d'Itshaq Rabin et donc de l'espoir de paix entre Israéliens et Palestiniens qui aurait pu entraîner dans son sillage une transformation totale du Moyen-Orient. Certains extrémistes islamiques sont allés jusqu'à prôner l'usage de la violence et la privation de liberté d'un certain nombre de victimes innocentes qui parfois n'ont fait qu'accomplir leur devoir militaire ou civil, ou encore, jusqu'à faire tomber une pluie de missiles sur un pays voisin, conscients d'avance des conséquences dramatiques sur des civils innocents par centaines et sur d'autres civils de leur propre pays car la guerre est terrible pour toutes les parties en présence.

Ecoutons encore le Prophète :
Du lever du soleil à son coucher Mon Nom est grand parmi les nations ;
En tout lieu on présente à Mon Nom un encens fumant et une oblation pure··· (Malachie I, 11).

Le retour du religieux n'a jamais été aussi éclatant. Il n'en reste pas moins que les religions n'ont pas toujours été des foyers de violence. Bien au contraire, les historiens nous ont montré combien au Moyen-Age, la convivance entre Chrétiens, Juifs et Musulmans en Espagne était une réalité. C'est pourquoi, nous sommes nombreux à considérer que le 21ème siècle peut -et par conséquent, doit- devenir le siècle du dialogue inter-religieux et inter-culturel et de la volonté des dirigeants des différentes confessions d'user de leur influence -et elle est grande- en vue de ramener la paix et la fraternité.

Nous sommes revenus au temps de Babel où la parole était une mais les propos totalement divergents (Genèse XI, 1). Sous des affirmations reprises par tous, on s'aperçoit que jamais l'humanité n'a été aussi délibérément divisée. L'influence des médias est de plus en plus immense, ce qui ajoute encore au trouble de la parole vraie.

Par ailleurs, dans ces temps de dialogue ininterrompu, il existe également un danger pour les religions, celui du syncrétisme, ce qui ferait perdre à chacune des religions ce qu'elle a d'essentiel et qui lui permet de se présenter dans toute sa splendeur et sa force de persuasion à ses fidèles.

Il est un mot qui apparaît de moins en moins -ou même pratiquement plus du tout- dans le dialogue, c'est le mot " amour ". Et pourtant, Rabbi Aqiba, le plus grand des docteurs de la Loi juive, mort martyr en 135, nous a enseigné que le commandement le plus important de la Bible hébraïque était : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Mais, existe-t-il encore pour moi un prochain, un frère sur lequel je puisse compter au moment du danger ? Le Prophète Jérémie nous avait déjà avertis et je le cite : Que chacun de vous se garde de son ami et ne vous fiez à aucun frère, car tout frère veut vous supplanter et tout ami s'en va calomniant. Chacun d'entre vous se joue de son ami et tous n'utilisent plus le langage de la vérité··· (Jérémie IX, 3-4). C'est aujourd'hui la tâche difficile des dirigeants politiques et des responsables religieux, ainsi que de tous les hommes de bonne volonté, que de rétablir ce sentiment d'amour pour le frère humain dans sa plus grande dimension et de toujours veiller à parler le langage de la vérité. Lutter contre la souffrance, l'exclusion, le sentiment de l'injustice, l'absence de toute fraternité, le règne du mensonge et surtout l'absence de paix des cœurs, est la mission à laquelle chacun se doit d'apporter le meilleur de lui-même.

Après avoir cité abondamment la Bible hébraïque, qu'il me soit permis de reprendre un enseignement de la Loi orale qui affirme : Celui qui sauve une vie préserve l'univers tout entier et celui qui détruit une vie est aussi coupable que celui qui détruirait un univers entier (Talmud de Babylone, traité Sanhedrin 37A ; 3ème siècle). Cet enseignement se retrouve également repris, mot pour mot, dans le Coran (Sourate 5, verset 32 ; 7ème siècle).

Cette rencontre constitue un fait culturel et religieux de la plus grande importance.

Il nous faut affirmer sans relâche l'unité des frères humains et la valeur ineffable de la personne. Etant donné que cette personne humaine équivaut à un univers tout entier, c'est la personne entière qu'il convient de mettre au pinacle, la personne physique comme la personne morale, comme également l'être social que constitue chaque individu et qui doit avoir sa part pleine et entière au sein du groupe, au sein de la société, au sein de la nation.
Par ailleurs, ceux qui vont dans les déserts éloignés pour apporter de la nourriture et un peu d'espérance, ceux qui jouent le rôle magnifique de sentinelle de la paix sous le casque bleu afin d'éviter le retour de la violence, ceux qui agissent à la place qui leur a été donnée par le destin pour le bien de l'humanité, ont droit à notre soutien et à notre aide infinis, mais surtout aussi à nos encouragement les plus grands et à notre admiration.

Ensemble, nous relèverons le défi de la violence, de la haine et de la mort. Ensemble nous bâtirons des civilisations fraternellement unies, basées sur le dialogue des peuples et des cultures pour la fraternité et la justice et donc la paix universelle.





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